Textiles traditonel chez les femmes d'Aït Hdiddou et Aït Atta de Haut-Dades
J'ai choisi de vous parler aujourd'hui des textiles des Aït Hadiddou et Aït Atta du Nord pour de nombreuses raisons, dont la principale est que si l'on connaît la première de ces tribus pour son fameux moussem des fiancés à Imilchil et la seconde pour sa combativité notamment contre les Français au temps du Protectorat, leurs textiles traditionnels sont relativement peu ou pas connus.
J'ai donc ici pour intention de vous convier à une première découverte de ces tissages, dont l'usage pour certains a été abandonné depuis plus de 60 ans, pour d'autres se poursuit encore ou a cessé plus récemment.
Les deux groupes tribaux que sont les Aït Atta et les Aït Hadiddou sont au contact dans la très haute vallée du Dadès que l'on appelle l'Imdhras.
Les Aït Atta sont en quelque sorte une super tribu qui au cours des siècles et à partir du Djbel Saghro, a mené une conquête territoriale qui lui a acquis une zone s'étendant du Draâ au Tafilalet et du Sahara au sud immédiat du Haut-Atlas, ainsi que des territoires dans la haute vallée du Dadès et la vallée de l'assif Ahansal jusqu'à Ouaouizart. Elle trouve son origine avec un ancêtre semi-légendaire, Dada Atta et ses 40 petits-fils. Si sa tombe est localisée dans l'ouest du Saghro, c'est surtout son association aux 2 saints principaux des Aït Atta - Moulay Abdallah Bin Hssein et Sidi Saïd Ahansal , qui permet de le localiser au 16ème siècle. Probablement dès l'origine de leur installation dans le Haut Atlas les Aït Atta se sont -ils trouvés au contact des Aït Hadiddou, présents pour leur part dès le 11ème siècle dans l'Imdhras. Ceux-ci n'auraient ensuite évolué vers leurs territoires actuels de l'Assif Melloul et de l'Amdhrous qu'au 17ème siècle avec l'accord des Atta - qui y faisaient paître leurs troupeaux, et ont par la suite intégré la confédération des Aït Yafelmane.
Les Aït Hadiddou sont constitués de 2 fractions principales, les Aït Yazza et les Aït Brahim, sédentarisés avec transhumances sur de courtes distances. Les Aït Yazza sont présents dans l'Imdhras et l'Assif, les Aït Brahim également dans l'Amdhrous.
Pour leur part, les Aït Atta sont constitués de 5 grandes fractions (khams) et nombreuses sous fractions. Nous ne parlerons que de celles présentes au nord, et notamment les Aït Bou Iknifen, Aït Yazza, Ilemchane, Aït Yazza et Aït Oussikis/Msemrir, que nous avons rencontrées. Les Aït Atta, transhumants sur de plus ou moins grandes distances sans être nomades, ont toujours eu un point de fixation, avant même de se sédentariser comme dans le Haut-Dadès.
Enfin, j'avais plusieurs options pour organiser cet exposé sur les textiles ; j'ai opté pour une approche par grands types : mantes, drapés et voiles en l'estimant la plus simple et schématique.
MANTES
Le terme le plus connu au Maroc pour les mantes est celui de handira ou ahendir. L'ahendir est un manteau contre le froid et se porte surtout l'hiver. Son usage tend maintenant à disparaître, seules quelques tribus comme les Aït Brahim tant dans l'Assif que dans l'Imdhras l'utilisant régulièrement. Il est ailleurs surtout visible durant les fêtes.
L'ahendir le plus connu chez les Aït Hadiddou est celui popularisé par les photos du moussem d'Imilchil, en fait appartenant aux Aït Brahim de l'Assif. De couleur foncée à larges rayures bleu et noir et filets rouge, orange, vert et blanc, il est tissé de façon à former un gonflement dans le dos où loger une charge ou un enfant. Il est porté plutôt par les femmes de moins de 50 ans,les plus âgées en portant un plus clair appelé TABRACHNOUT.
Si les Aït Brahim de l'Amdhrous portent le même ahendir, ceux de l'Imdhras portent un type très différent, à étroites rayures noires et blanches, nommé AHENDIR BOUD TZERAZ. Lors des fêtes, cet ahendir intègre quelques rayures à double bleu ou bleu/ vert en remplacement de rayures noires ; l'ahendir se nomme alors BOUIKCHARANE et même TIZRAZ si des franges latérales sont ajoutées.
Dans certains villages et notamment à Aït Moussa Ou Ouichou, l'ahendir Boud Tzeraz a été remplacé depuis une vingtaine d'années par l'ahendir OUMLIL(blanc), à larges rayures noires et blanches et filet rouge, considéré plus plaisant et créé probablement sous l'influence de l'ahendir Afrakash des Aït Atta que nous évoquerons plus loin.
L'autre type de ahendir des Aït Hadiddou, très connu des voyageurs des souks, est celui des Aït Yazza , à étroites rayures noires ou bleues et blanches, à insertion de rayures rouges. Cet ahendir était porté au quotidien dans l'Assif, l'est moins désormais; dans l'Imdhras, les rayures sont noires et blanches et l'ahendir très similaire à celui des Aït Brahim voisins, ce qui laisserait à penser que ce type de ahendir serait la forme originelle pour tous les Aït Hadiddou.
Pour les jours de fêtes, les femmes Aït Yazza sortaient l'ahendir SABUN, employant le coton bouloché pour ses rayures blanches, introduisant souvent 3 rayures bicolores à la place de 3 bleu/noir et portant en lisières des franges de laines multicolores.
Chez les Aït Atta du Nord existent également des ahendir d'usage ordinaire et d'autres pour les fêtes, surtout les mariages. Les ahendir ordinaires sont de dessin relativement simple. Le modèle le plus courant et présenté comme commun à l'ensemble des Aït Atta n'Adrar (de la montagne) est appelé T'BEN : il est blanc à larges rayures noires. Il en existe toutefois au moins 3 autres types que nous avons rencontrés dans le bled : l'un pour les Aït Bou Iknifen, à rayures rouge/orange/vert, un second pour les Ignaouen à fines rayures noires et rouges, et un troisième pour les Aït Yazza des Aït Atta à assez larges rayures brunes et blanches.
Pour les temps de fêtes, le ahendir le plus largement utilisé par les Aït Atta est l'AFRAKASH (multicolore). Il associe laine et coton ; coton pour les larges franges latérales, laine et coton pour les larges rayures blanches, laine pour les larges rayures bleues et rouges du champ, et les fines rayures vertes et jaunes des extrémités. Tous ceux que nous avons vu semblaient relativement anciens, et plusieurs sources nous en ont donné l'origine à la Zaouiat Ahansal où les Aït Atta du Nord ont leur saint privilégié (les autres se tournant vers Tamesloht près de Marrakech et la tombe de Moulay Abdallah Bin Hssein). D'allure forte, cette handira était très prisée au point d'être souvent acquise par des femmes d'autres tribus pour leur propre usage.
Deux autres ahendir de fête des Ait Atta sont moins connus :
- l'ahendir Boulouk aux larges bandes rouge, vert et noir, que nous avons trouvée chez les Aït Bou Iknifen ? un ahendir dont nous n'avons pu identifier le nom ; son origine est très probablement Ilemchane et c'est sans nul doute la plus impressionnante avec sa charge de bandes colorées rehaussées de dessins.
L'ahendir Boulouk et tous les ahendir d'emploi ordinaire que nous venons de voir sont tissés uniquement de laine, les autres employant le coton pour sa blancheur éclatante.
DRAPES
Avant l'arrivée massive des tissus industriels sur les souks du bled, un peu avant l'indépendance, les femmes ont porté pour l'essentiel des drapés de laine souvent de leur propre facture. Leur emploi a commencé à diminuer dès les années 1930, pour beaucoup baisser dans les années 40 et vraiment disparaître dans la décennie suivante.
Par ailleurs si leur coût avait limité la quantité des plus belles pièces, l'usage et les ré-emplois, quelquefois la guerre, ont aussi causé la disparition de la quasi totalité de ces tissages et notamment des plus simples qui ne bénéficiaient pas du prestige des autres.
Chez les Aït Hadiddou, les femmes Aït Yazza ont au quotidien utilisé un drapé d'environ 3,5m par 1m appelé TAHARAOUITE ; il était de laine blanche uniquement et agrémenté de quelques bandes et rayures à chaque extrémité. Son emploi s'est éteint dans les années 30.
Chez les Aït Brahim, et jusque vers 1930, le vêtement ordinaire était le BOUIGHER, long drapé agrémenté de bandes plus larges que sur le Taharaouite des Ait Yazza et portant franges au revers. Puis le bouigher a disparu pour laisser place au TAHABEN N'TIJEDAD (drapé avec oiseaux) qui a duré jusque dans les années 40.
Chez les Aït Atta, les seules traces de drapé ordinaire que nous ayons trouvé l'ont été chez les Aït Bou Iknifen où l'on nous a parlé d'un long drapé blanc à rayures fines rouges et noires ; partout ailleurs, le drapé ordinaire semble avoir été blanc.
Plus prestigieux, les drapés de fête ont mieux survécu même si moins nombreux à l'origine.
Nous n'avons clairement identifié que 2 types de tels drapés chez les Aït Atta :
- l'un dans la région de Msemrir, blanc à 2 larges bandes rouges, utilisé chez les Aït Yazza de la région de Tineghir.
- L'autre dans la vallée du Dadès, et qui était porté jusque vers 1930. Nous n'avons pu qu'en faire une reconstitution que voici.
Nous avons par contre été plus chanceux avec les Aït Hadiddou chez qui nous avons identifié 3 types de drapés :
Tout d'abord le TACHKOUN, porté uniquement lors des mariages, et qui a été portraituré par Jean Besancenot dans ses 'Costumes du Maroc'. Il était utilisé par les 2 fractions et était impressionnant avec ses franges en revers portées derrière les épaules. Selon les informations obtenues de plusieurs sources, il était tissé dans la région d'Assoul et acquis uniquement par les familles les plus aisées. Plusieurs vieux hommes nous ont d'ailleurs cité la même parole : 'une femme qui n'avait pas de tachkoun n'avait rien'. Celui de la mariée lui était apporté par un ami du futur marié qui venait la chercher pour la ramener sur une mule chez ce fiancé.
Ensuite et semble t'il très peu courant a été le OUAOUCHKOUN, très grand drapé qui aurait été l'apanage des plus riches des familles chez les Aït Brahim.
Ces 2 drapés ont vu leur emploi cesser dans les années 30, remplacés par le TAHABENT de coton produit dans la région de Fès et apporté par des marchands ambulants. Entièrement en coton blanc bouloché avec un seul 'pavé' de quelques courtes rayures de couleur dans un coin, son usage a cessé au moment de l'indépendance.
VOILES
D'origine Aït Atta et Aït Hadiddou, ce type de textile est celui qui a le plus retenu l'attention ces dernier 12 mois.
Nous allons à cet égard en évoquer 3 sortes : deux provenant des Aït Atta et une des Aït Hadiddou.
La première est spécifique à la vallée de l'aqqa Oussékis dans la haute vallée du Dadès. De forme carrée, d'environ 50 à 60 cm de côté, et affichant un énorme rond central jaune bordé de rouge et brun, il se nomme Ilbed n Tislatin n Iguramin n Ahansal, car il était réalisé par teinture à ligature sur une pièce de tissu carrée, de ré-emploi, par des femmes de la Zaouïat d'Ahansal.
Cet ilbed était porté par les chanteuses d'ahidous accompagnant les mariages collectifs et ce jusqu'à la fin des années 50. Il était posé sur la tête, maintenu en forme par un petit lacet caché et retenu par une TISUMA de soie colorée. Il était également employé lors du voyage de la mariée vers la maison de son promis, enroulé autour et servant à tenir la queue de la mule .
Le second type d'Ilbed, Ilbed n Tihgri, semble avoir été employé par toutes les autres tribus des Aït Atta du Nord entre Boumalne n Dades et Tineghir et plus au sud dans le Saghro. De petite taille, carré de 25 à 35 cm de côté, il était aussi taillé en ré-emploi dans un textile plus ancien et teint par ligature. Son fond est d'un rouge brun plus ou moins foncé, agrémenté d'arceaux en lisière et pour un type d'une ligne intérieure continue. Il était aussi porté pendant les mariages collectifs, mais par toutes les femmes sinon les vierges. Il était posé sur la tête et fixé par une cordelette, de façon à laisser retomber les motifs colorés sur les côtés. Nous en avons identifié 4 types à ce jour :
- foncé tricolore contrasté à 8 arceaux
- clair bicolore à 8 arceaux
- foncé tricolore TIBIRBILOUD, généralement sur un tissu de texture fine
- foncé tricolore à 12 arceaux
Nous n'avons pu identifier de zones d'usage plus particulières pour les 2 premiers types, en ayant collecté dans des fractions et des localisations très diverses. Il est probable que la différence tienne plus à la qualification des teinturiers. Le type Tibirbiloud apparaît pour sa part spécifique à la région de Imider même si chaque fois que nous avons tenté de connaître la raison de son existence on nous a affirmé que le goût avait présidé à son dessin. Enfin, le dernier type est une découverte récente non encore documentée dans le bled. L'emploi de cet ilbed n'Tighri est partout abandonné depuis les années 50 même si des mariages collectifs ont encore lieu dans certains groupes tribaux.
La 3ème et dernière sorte dont nous voulons vous parler n'est en fait pas un voile de tête.
En usage autrefois chez les Aït Hadiddou, il se nomme AGOUNOUN N'TISLATIN, agounoun de mariée, car il était porté uniquement par les mariées lors des mariages collectifs, et ce exclusivement chez les Aït Yazza en général et les Aït Brahim de l'Imdhras. On peut du fait de ce dernier point imaginer que les autres Aït Brahim ont abandonné cette pratique entre-temps, comme a changé leur handira.
L'agounoun était mis par la mariée juste avant de quitter sa maison, posé en haut du dos et attaché par les fibules, avec les cheveux défaits et rabattus par dessus (cf similarité de positionnement avec l'aghassi des Ida ou Nadif de l'Anti-Atlas). La mariée portait par ailleurs un voile de soie rouge (ABROUK) sur le visage et un autre plus long sur la tête. L'agounoun était ainsi porté pendant les 4 jours du mariage pour être ensuite passé sur la tête pendant le TIZARZIME, période de quelques jours durant laquelle les mariés se déplaçaient et étaient reçu à déjeuner ou dîner chez leurs amis. Puis l'agounoun était rangé dans l'AGHRED, poche en peau de chèvre. Selon nos informations de bled, les agounouns étaient teints parfois par des teinturiers juifs, mais surtout par des femmes sachantes des villages de la tribu, qui utilisaient d'une part l'IGHRIS pour le jaune (une plante locale), d'autre part la garance importée de Rich. On trouve 2 types principaux d'Agounoun que nous avons qualifiés de 'flou' et 'net' d'après l'allure des dessins. La teinture se faisait à la ligature (tie-dye) pour les deux qualifications, ou à la réserve pour les 'net'. L'architecture des dessins emploie soit un centre (AIYOUR= lune), un champ (TAHLININE= yeux) et des coins (TIMGHIN), soit uniquement un champ d'yeux. Dans ce dernier cas les dessins sont plutôt de type 'flou'. Nous n'avons pu trouver de fondement à l'emploi plus particulier de l'un ou l'autre de ces 2 types. La couleur dominante est le rouge ; mais il nous est aussi arrivé de trouver quelques pièces brunes, toujours dans le type 'flou'.
Le dernier mariage collectif a eu lieu en 1985 à Imilchil et utilisait encore l'agounoun ; depuis les agounoun ont beaucoup dormi dans les maisons, notamment en rembourrage de coussin.
CONCLUSION
Cet exposé n'est d'une certaine façon qu'un premier rapport sur les recherches que j'ai pu faire dans le domaine de ces textiles. Je suis bien conscient que certains aspects sont plus complets que d'autres, et compte bien compléter notamment les moins documentés. L'obstacle majeur à ce type de travail est une connaissance qui s'évapore avec les hommes et que nous devons tenter de fixer en ré-assemblant les bribes encore disponibles, de matière et de souvenir.
Henri Crouzet
J'ai donc ici pour intention de vous convier à une première découverte de ces tissages, dont l'usage pour certains a été abandonné depuis plus de 60 ans, pour d'autres se poursuit encore ou a cessé plus récemment.
Les deux groupes tribaux que sont les Aït Atta et les Aït Hadiddou sont au contact dans la très haute vallée du Dadès que l'on appelle l'Imdhras.
Les Aït Atta sont en quelque sorte une super tribu qui au cours des siècles et à partir du Djbel Saghro, a mené une conquête territoriale qui lui a acquis une zone s'étendant du Draâ au Tafilalet et du Sahara au sud immédiat du Haut-Atlas, ainsi que des territoires dans la haute vallée du Dadès et la vallée de l'assif Ahansal jusqu'à Ouaouizart. Elle trouve son origine avec un ancêtre semi-légendaire, Dada Atta et ses 40 petits-fils. Si sa tombe est localisée dans l'ouest du Saghro, c'est surtout son association aux 2 saints principaux des Aït Atta - Moulay Abdallah Bin Hssein et Sidi Saïd Ahansal , qui permet de le localiser au 16ème siècle. Probablement dès l'origine de leur installation dans le Haut Atlas les Aït Atta se sont -ils trouvés au contact des Aït Hadiddou, présents pour leur part dès le 11ème siècle dans l'Imdhras. Ceux-ci n'auraient ensuite évolué vers leurs territoires actuels de l'Assif Melloul et de l'Amdhrous qu'au 17ème siècle avec l'accord des Atta - qui y faisaient paître leurs troupeaux, et ont par la suite intégré la confédération des Aït Yafelmane.
Les Aït Hadiddou sont constitués de 2 fractions principales, les Aït Yazza et les Aït Brahim, sédentarisés avec transhumances sur de courtes distances. Les Aït Yazza sont présents dans l'Imdhras et l'Assif, les Aït Brahim également dans l'Amdhrous.
Pour leur part, les Aït Atta sont constitués de 5 grandes fractions (khams) et nombreuses sous fractions. Nous ne parlerons que de celles présentes au nord, et notamment les Aït Bou Iknifen, Aït Yazza, Ilemchane, Aït Yazza et Aït Oussikis/Msemrir, que nous avons rencontrées. Les Aït Atta, transhumants sur de plus ou moins grandes distances sans être nomades, ont toujours eu un point de fixation, avant même de se sédentariser comme dans le Haut-Dadès.
Enfin, j'avais plusieurs options pour organiser cet exposé sur les textiles ; j'ai opté pour une approche par grands types : mantes, drapés et voiles en l'estimant la plus simple et schématique.
MANTES
Le terme le plus connu au Maroc pour les mantes est celui de handira ou ahendir. L'ahendir est un manteau contre le froid et se porte surtout l'hiver. Son usage tend maintenant à disparaître, seules quelques tribus comme les Aït Brahim tant dans l'Assif que dans l'Imdhras l'utilisant régulièrement. Il est ailleurs surtout visible durant les fêtes.
L'ahendir le plus connu chez les Aït Hadiddou est celui popularisé par les photos du moussem d'Imilchil, en fait appartenant aux Aït Brahim de l'Assif. De couleur foncée à larges rayures bleu et noir et filets rouge, orange, vert et blanc, il est tissé de façon à former un gonflement dans le dos où loger une charge ou un enfant. Il est porté plutôt par les femmes de moins de 50 ans,les plus âgées en portant un plus clair appelé TABRACHNOUT.
Si les Aït Brahim de l'Amdhrous portent le même ahendir, ceux de l'Imdhras portent un type très différent, à étroites rayures noires et blanches, nommé AHENDIR BOUD TZERAZ. Lors des fêtes, cet ahendir intègre quelques rayures à double bleu ou bleu/ vert en remplacement de rayures noires ; l'ahendir se nomme alors BOUIKCHARANE et même TIZRAZ si des franges latérales sont ajoutées.
Dans certains villages et notamment à Aït Moussa Ou Ouichou, l'ahendir Boud Tzeraz a été remplacé depuis une vingtaine d'années par l'ahendir OUMLIL(blanc), à larges rayures noires et blanches et filet rouge, considéré plus plaisant et créé probablement sous l'influence de l'ahendir Afrakash des Aït Atta que nous évoquerons plus loin.
L'autre type de ahendir des Aït Hadiddou, très connu des voyageurs des souks, est celui des Aït Yazza , à étroites rayures noires ou bleues et blanches, à insertion de rayures rouges. Cet ahendir était porté au quotidien dans l'Assif, l'est moins désormais; dans l'Imdhras, les rayures sont noires et blanches et l'ahendir très similaire à celui des Aït Brahim voisins, ce qui laisserait à penser que ce type de ahendir serait la forme originelle pour tous les Aït Hadiddou.
Pour les jours de fêtes, les femmes Aït Yazza sortaient l'ahendir SABUN, employant le coton bouloché pour ses rayures blanches, introduisant souvent 3 rayures bicolores à la place de 3 bleu/noir et portant en lisières des franges de laines multicolores.
Chez les Aït Atta du Nord existent également des ahendir d'usage ordinaire et d'autres pour les fêtes, surtout les mariages. Les ahendir ordinaires sont de dessin relativement simple. Le modèle le plus courant et présenté comme commun à l'ensemble des Aït Atta n'Adrar (de la montagne) est appelé T'BEN : il est blanc à larges rayures noires. Il en existe toutefois au moins 3 autres types que nous avons rencontrés dans le bled : l'un pour les Aït Bou Iknifen, à rayures rouge/orange/vert, un second pour les Ignaouen à fines rayures noires et rouges, et un troisième pour les Aït Yazza des Aït Atta à assez larges rayures brunes et blanches.
Pour les temps de fêtes, le ahendir le plus largement utilisé par les Aït Atta est l'AFRAKASH (multicolore). Il associe laine et coton ; coton pour les larges franges latérales, laine et coton pour les larges rayures blanches, laine pour les larges rayures bleues et rouges du champ, et les fines rayures vertes et jaunes des extrémités. Tous ceux que nous avons vu semblaient relativement anciens, et plusieurs sources nous en ont donné l'origine à la Zaouiat Ahansal où les Aït Atta du Nord ont leur saint privilégié (les autres se tournant vers Tamesloht près de Marrakech et la tombe de Moulay Abdallah Bin Hssein). D'allure forte, cette handira était très prisée au point d'être souvent acquise par des femmes d'autres tribus pour leur propre usage.
Deux autres ahendir de fête des Ait Atta sont moins connus :
- l'ahendir Boulouk aux larges bandes rouge, vert et noir, que nous avons trouvée chez les Aït Bou Iknifen ? un ahendir dont nous n'avons pu identifier le nom ; son origine est très probablement Ilemchane et c'est sans nul doute la plus impressionnante avec sa charge de bandes colorées rehaussées de dessins.
L'ahendir Boulouk et tous les ahendir d'emploi ordinaire que nous venons de voir sont tissés uniquement de laine, les autres employant le coton pour sa blancheur éclatante.
DRAPES
Avant l'arrivée massive des tissus industriels sur les souks du bled, un peu avant l'indépendance, les femmes ont porté pour l'essentiel des drapés de laine souvent de leur propre facture. Leur emploi a commencé à diminuer dès les années 1930, pour beaucoup baisser dans les années 40 et vraiment disparaître dans la décennie suivante.
Par ailleurs si leur coût avait limité la quantité des plus belles pièces, l'usage et les ré-emplois, quelquefois la guerre, ont aussi causé la disparition de la quasi totalité de ces tissages et notamment des plus simples qui ne bénéficiaient pas du prestige des autres.
Chez les Aït Hadiddou, les femmes Aït Yazza ont au quotidien utilisé un drapé d'environ 3,5m par 1m appelé TAHARAOUITE ; il était de laine blanche uniquement et agrémenté de quelques bandes et rayures à chaque extrémité. Son emploi s'est éteint dans les années 30.
Chez les Aït Brahim, et jusque vers 1930, le vêtement ordinaire était le BOUIGHER, long drapé agrémenté de bandes plus larges que sur le Taharaouite des Ait Yazza et portant franges au revers. Puis le bouigher a disparu pour laisser place au TAHABEN N'TIJEDAD (drapé avec oiseaux) qui a duré jusque dans les années 40.
Chez les Aït Atta, les seules traces de drapé ordinaire que nous ayons trouvé l'ont été chez les Aït Bou Iknifen où l'on nous a parlé d'un long drapé blanc à rayures fines rouges et noires ; partout ailleurs, le drapé ordinaire semble avoir été blanc.
Plus prestigieux, les drapés de fête ont mieux survécu même si moins nombreux à l'origine.
Nous n'avons clairement identifié que 2 types de tels drapés chez les Aït Atta :
- l'un dans la région de Msemrir, blanc à 2 larges bandes rouges, utilisé chez les Aït Yazza de la région de Tineghir.
- L'autre dans la vallée du Dadès, et qui était porté jusque vers 1930. Nous n'avons pu qu'en faire une reconstitution que voici.
Nous avons par contre été plus chanceux avec les Aït Hadiddou chez qui nous avons identifié 3 types de drapés :
Tout d'abord le TACHKOUN, porté uniquement lors des mariages, et qui a été portraituré par Jean Besancenot dans ses 'Costumes du Maroc'. Il était utilisé par les 2 fractions et était impressionnant avec ses franges en revers portées derrière les épaules. Selon les informations obtenues de plusieurs sources, il était tissé dans la région d'Assoul et acquis uniquement par les familles les plus aisées. Plusieurs vieux hommes nous ont d'ailleurs cité la même parole : 'une femme qui n'avait pas de tachkoun n'avait rien'. Celui de la mariée lui était apporté par un ami du futur marié qui venait la chercher pour la ramener sur une mule chez ce fiancé.
Ensuite et semble t'il très peu courant a été le OUAOUCHKOUN, très grand drapé qui aurait été l'apanage des plus riches des familles chez les Aït Brahim.
Ces 2 drapés ont vu leur emploi cesser dans les années 30, remplacés par le TAHABENT de coton produit dans la région de Fès et apporté par des marchands ambulants. Entièrement en coton blanc bouloché avec un seul 'pavé' de quelques courtes rayures de couleur dans un coin, son usage a cessé au moment de l'indépendance.
VOILES
D'origine Aït Atta et Aït Hadiddou, ce type de textile est celui qui a le plus retenu l'attention ces dernier 12 mois.
Nous allons à cet égard en évoquer 3 sortes : deux provenant des Aït Atta et une des Aït Hadiddou.
La première est spécifique à la vallée de l'aqqa Oussékis dans la haute vallée du Dadès. De forme carrée, d'environ 50 à 60 cm de côté, et affichant un énorme rond central jaune bordé de rouge et brun, il se nomme Ilbed n Tislatin n Iguramin n Ahansal, car il était réalisé par teinture à ligature sur une pièce de tissu carrée, de ré-emploi, par des femmes de la Zaouïat d'Ahansal.
Cet ilbed était porté par les chanteuses d'ahidous accompagnant les mariages collectifs et ce jusqu'à la fin des années 50. Il était posé sur la tête, maintenu en forme par un petit lacet caché et retenu par une TISUMA de soie colorée. Il était également employé lors du voyage de la mariée vers la maison de son promis, enroulé autour et servant à tenir la queue de la mule .
Le second type d'Ilbed, Ilbed n Tihgri, semble avoir été employé par toutes les autres tribus des Aït Atta du Nord entre Boumalne n Dades et Tineghir et plus au sud dans le Saghro. De petite taille, carré de 25 à 35 cm de côté, il était aussi taillé en ré-emploi dans un textile plus ancien et teint par ligature. Son fond est d'un rouge brun plus ou moins foncé, agrémenté d'arceaux en lisière et pour un type d'une ligne intérieure continue. Il était aussi porté pendant les mariages collectifs, mais par toutes les femmes sinon les vierges. Il était posé sur la tête et fixé par une cordelette, de façon à laisser retomber les motifs colorés sur les côtés. Nous en avons identifié 4 types à ce jour :
- foncé tricolore contrasté à 8 arceaux
- clair bicolore à 8 arceaux
- foncé tricolore TIBIRBILOUD, généralement sur un tissu de texture fine
- foncé tricolore à 12 arceaux
Nous n'avons pu identifier de zones d'usage plus particulières pour les 2 premiers types, en ayant collecté dans des fractions et des localisations très diverses. Il est probable que la différence tienne plus à la qualification des teinturiers. Le type Tibirbiloud apparaît pour sa part spécifique à la région de Imider même si chaque fois que nous avons tenté de connaître la raison de son existence on nous a affirmé que le goût avait présidé à son dessin. Enfin, le dernier type est une découverte récente non encore documentée dans le bled. L'emploi de cet ilbed n'Tighri est partout abandonné depuis les années 50 même si des mariages collectifs ont encore lieu dans certains groupes tribaux.
La 3ème et dernière sorte dont nous voulons vous parler n'est en fait pas un voile de tête.
En usage autrefois chez les Aït Hadiddou, il se nomme AGOUNOUN N'TISLATIN, agounoun de mariée, car il était porté uniquement par les mariées lors des mariages collectifs, et ce exclusivement chez les Aït Yazza en général et les Aït Brahim de l'Imdhras. On peut du fait de ce dernier point imaginer que les autres Aït Brahim ont abandonné cette pratique entre-temps, comme a changé leur handira.
L'agounoun était mis par la mariée juste avant de quitter sa maison, posé en haut du dos et attaché par les fibules, avec les cheveux défaits et rabattus par dessus (cf similarité de positionnement avec l'aghassi des Ida ou Nadif de l'Anti-Atlas). La mariée portait par ailleurs un voile de soie rouge (ABROUK) sur le visage et un autre plus long sur la tête. L'agounoun était ainsi porté pendant les 4 jours du mariage pour être ensuite passé sur la tête pendant le TIZARZIME, période de quelques jours durant laquelle les mariés se déplaçaient et étaient reçu à déjeuner ou dîner chez leurs amis. Puis l'agounoun était rangé dans l'AGHRED, poche en peau de chèvre. Selon nos informations de bled, les agounouns étaient teints parfois par des teinturiers juifs, mais surtout par des femmes sachantes des villages de la tribu, qui utilisaient d'une part l'IGHRIS pour le jaune (une plante locale), d'autre part la garance importée de Rich. On trouve 2 types principaux d'Agounoun que nous avons qualifiés de 'flou' et 'net' d'après l'allure des dessins. La teinture se faisait à la ligature (tie-dye) pour les deux qualifications, ou à la réserve pour les 'net'. L'architecture des dessins emploie soit un centre (AIYOUR= lune), un champ (TAHLININE= yeux) et des coins (TIMGHIN), soit uniquement un champ d'yeux. Dans ce dernier cas les dessins sont plutôt de type 'flou'. Nous n'avons pu trouver de fondement à l'emploi plus particulier de l'un ou l'autre de ces 2 types. La couleur dominante est le rouge ; mais il nous est aussi arrivé de trouver quelques pièces brunes, toujours dans le type 'flou'.
Le dernier mariage collectif a eu lieu en 1985 à Imilchil et utilisait encore l'agounoun ; depuis les agounoun ont beaucoup dormi dans les maisons, notamment en rembourrage de coussin.
CONCLUSION
Cet exposé n'est d'une certaine façon qu'un premier rapport sur les recherches que j'ai pu faire dans le domaine de ces textiles. Je suis bien conscient que certains aspects sont plus complets que d'autres, et compte bien compléter notamment les moins documentés. L'obstacle majeur à ce type de travail est une connaissance qui s'évapore avec les hommes et que nous devons tenter de fixer en ré-assemblant les bribes encore disponibles, de matière et de souvenir.
Henri Crouzet
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